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Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/109

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Le curé. Pense, Mendo, que tu pourrais encore être plus malheureux. Un inquisiteur qui condamne un homme sur des preuves assez faibles, crois-tu qu’il soit plus tranquille que toi ? Un juge qui vient de signer la sentence de mort, crois-tu que sa conscience le laisse en repos ? Et cependant, ils n’ont rien négligé pour s’instruire. — Mais il est si difficile de reconnaître la vérité !… Quel autre que Dieu peut se vanter de connaître un coupable ? L’opinion des hommes te tourmente… mais, vivant loin des hommes, tu es peu connu d’eux. Pas un habitant de ce village n’est assez vieux pour avoir connu la profession de ton père…

Mendo. Oh ! monsieur le curé ! mon père !

Le curé. L’alcade et moi savons seuls, je pense, qu’une loi injuste te force à prendre le métier de ton père. Mais, quand même on eût imprimé sur ton front le signe d’une profession que les hommes ont déclarée infâme, alors même, Mendo, tu devrais offrir tes souffrances à Dieu, glorifier son nom, et attendre patiemment qu’il daigne te retirer à lui. Excommunié maintenant sur cette terre, un jour tu seras associé aux élus. — Crois-tu qu’il y ait des distinctions de rang dans le ciel ?

Mendo. Mon unique espoir est en Dieu !

Le curé. Tu n’as pas de fils, ainsi tu ne laisseras pas de malheureux après toi. Tu dois encore en remercier le ciel.

Mendo. Mais, ma fille, ma pauvre Inès !… l’ignominie de mon nom la suivra !… Hélas ! elle ne sait pas encore cet affreux secret !… Je ne sais si je pourrai jamais le lui avouer… Je devrais la placer dans un couvent… mais pourrait-elle y trouver un asile ?

Le curé. Je le crois, Mendo. — Elle y trouvera un époux qui fait plus de cas d’un cœur pur que d’armoiries sans barres. Adieu. Il faut que j’aille porter à un pauvre malade des secours que m’a remis le comte de Mendoza.

Mendo. Ah ! c’est le plus noble, le meilleur des hommes. — Vous le savez, tout grand seigneur qu’il est, il daigne me visiter, et il n’accorde pas cette faveur à l’alcade. — Hélas ! s’il venait à connaître !…

Le curé. — Sois sans inquiétude. — Cependant, par pru-