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Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/112

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J’ai des reproches à vous faire. Vous êtes le seul ami que nous ayons dans ce pays, et vous ne venez jamais nous voir !…

Mendo. Excusez-moi, monseigneur. Un pauvre paysan comme moi ne peut pas faire compagnie à un seigneur de votre qualité.

Don Luis. Chansons que cela ! Tout comte que je suis, je ne me soucie pas plus de la noblesse que de mes vieilles bottes. Si j’aime mieux votre compagnie que celle d’un grand, qu’avez-vous à dire à cela ? — Et puis, ne vous avons-nous pas une petite obligation ? Quand nos mules allaient nous jeter dans un précipice, n’est-ce pas vous qui leur avez sauté à la bride, et les avez arrêtées ?

Mendo. Tout autre à ma place en eût fait autant.

Don Luis. À la bonne heure. — Mais écoutez-moi. — Je ne suis pas fier. Je suis philosophe, moi. J’ai lu les anciens. — Tenez, mon ami, les hommes sont bien sots avec leurs préjugés sur la noblesse. La maison des Mendoza est une des plus anciennes des Espagnes ; et je suis de la branche aînée, s’il vous plaît. Eh bien ! cela me serait égal de m’appeler Juan Mendo, au lieu de don Luis de Mendoza.

Mendo vivement. Quoi ! d’être Juan Mendo ?

Don Luis. Dans le fait, Mendo sonne mal à l’oreille, en comparaison de Mendoza. — Mendo… Mendoza… Ah ! ce za a bien son mérite. — Mais laissons là nos noms, et parlons d’affaires. Vous connaissez mon fils, c’est un charmant garçon, n’est-ce pas ? plein de courage, d’esprit, de talent. Il est officier aux gardes, et dans la plus belle passe pour avoir un emploi brillant. Dix duchesses lui ont fait des avances… s’il avait voulu, il aurait épousé la fille du duc de Bivar… le duc de Bivar !… entendez-vous bien ? Ce n’est pas une famille d’hier que celle du duc de Bivar.

Mendo. Il faudrait être aveugle pour ne pas admirer le mérite du baron de Mendoza.

Don Luis. Mais je suis philosophe, moi. Qu’est-ce que la naissance, me suis-je dit ? Qu’ai-je fait à la Providence pour qu’elle me fît comte de Mendoza, grand de première classe, commandeur d’Alcantara ? Je ne m’en estime pas davan-