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Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/118

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le déchirer… Ah ! j’ai bien des reproches à me faire ! — Mais ma fille,… c’était le seul ami que je pouvais avoir au monde… Je n’avais pas le courage de m’en séparer… Pauvre enfant ! il faut qu’elle sache enfin la vérité… je vais briser son cœur… mais attendre plus longtemps serait trop dangereux… Elle sentira qu’elle n’a plus d’asile qu’au fond d’un cloître. La voici : rappelons tout notre courage.

Inès entrant. Mon papa, j’ai été bien désobéissante. J’ai vu tout à l’heure Esteban, et nous avons été nous promener ensemble ; et puis, don Luis est venu, et il m’a dit des choses si aimables, que je ne m’en sentais pas de joie. Esteban a dit qu’il voulait que je fusse sa femme, don Luis a dit que vous aviez dit que je ferais ce qui me plairait. Est-ce vrai, mon papa ? ou ne l’avez-vous dit que pour rire ? Oh ! mon papa, je l’aime tant ! Vous l’avouerai-je ? il m’a forcée d’accepter un anneau de fiancée… Je n’en voulais pas d’abord, parce qu’il est trop beau… mais don Luis l’a voulu absolument… Tenez, le voici… comme il brille !

Mendo. Inès, écoute-moi, c’est peut-être pour la dernière fois que je te parle.

Inès souriant. Bah !

Mendo. Inès… un homme qui tuerait son prochain serait un être détestable ; tous les hommes doivent le haïr.

Inès. Oui, mon papa.

Mendo. Mais si cet homme était forcé par les autres à tuer son prochain ?…

Inès. Comment pourrait-on l’y forcer ? On a toujours la ressource de mourir, au lieu de tuer son prochain. Mais que voulez-vous dire ?

Mendo après un silence. Ainsi tu as consenti à épouser don Esteban ?… Tu sais que sa famille est une des plus illustres de l’Espagne. L’origine de sa race remonte au temps du saint roi Pélage. Il a pour alliés toute la noblesse de Castille, pour amis tous les grands… Crois-tu qu’il ne souffrira pas quand ses parents et ses amis le railleront d’un mariage si mal assorti ? Tu l’aimes… voudrais-tu qu’il eût dans le monde à souffrir des avanies continuelles à cause de sa femme ?

Inès. C’était à lui à y penser d’abord… Je descends d’hon-