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Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/120

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Inès !… ils m’ont imposé l’horrible profession de mon père… Je suis le bourreau de Monclar.

Il sort et ferme la porte sur lui.

Inès seule. J’ai perdu Esteban ! (Elle reste quelque temps dans l’accabiement.) Mais vous, mon pauvre père ! que je vous plains !… Où est-il ? il était ici tout à l’heure… car ce n’est point un rêve… il m’a parlé : comment aurais-je pu imaginer cela ? Mais cette porte est fermée. Ah ! je me souviens… (Courant à la porte.) Mon père ! mon père ! revenez ! je suis toujours votre fille ; venez m’embrasser ! Venez, je veux passer ma vie à vous consoler… Il ne m’entend pas ! (Elle frappe à la porte.) Mon père ! mon père ! vous me mettez au désespoir. Faut-il que vous aussi, vous m’abandonniez !… Ah ! Esteban, Esteban ! je t’ai perdu… Tout à l’heure j’étais si heureuse ! En un instant voilà que je suis devenue la plus malheureuse des femmes ! Hélas ! au lieu de me marier, je n’ai plus qu’à me cacher dans quelque trou !… Il faudra tout lui dire… car ce serait mai de lui cacher une chose comme celle-là… Encore, s’il ne m’avait pas demandée, j’en aurais moins de regret. Il faut tout lui avouer… Mais comment lui dirai-je en face : « Esteban, je suis la fille… » Oh ! jamais je n’oserai. Pourtant il faut bien qu’il le sache… Autrement… il reviendrait ici, et cela me ferait encore plus de peine… Eh bien ! je lui écrirai… Il ne me reverra plus… je me ferai religieuse, et je penserai toujours à lui… je prierai le bon Dieu pour lui… et je ne déshonorerai pas son noble sang : il le faut.

Rappelons tout notre courage… Je crois que mes larmes m’ont soulagée. Oui, je crois que maintenant je pourrai lui écrire cette lettre… Oh ! que n’ai-je su plus tôt de qui j’étais la fille !

Entre Mendo un sac d’argent à la main.

Inès. Mon père !

Mendo. Inès, voici qui vous appartient. Cet argent est à vous ; il vient de votre mère. — Il servira pour vous établir dans la retraite que vous choisirez.

Inès. Ô mon père ! ne me dites pas de m’en aller. J’ai perdu mon Esteban, ne m’ôtez pas mon père. Laissez-moi passer ma vie à vous consoler, à vous tenir lieu d’ami.