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Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/133

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Inès. Et tu connais si bien son écriture, que rien qu’en lisant l’adresse tu devines de qui est le billet ?

Don Esteban. Oh ! c’est que… oui, je l’ai beaucoup connue… autrefois.

Inès. Une ancienne passion ?

Don Esteban. Hé ! quelque chose comme cela, avant que je te visse… Mais tiens, lis toi-même (Il lui donne la lettre.)

Inès. Voilà de la générosité. (Elle ouvre la lettre et la lui rend sans la lire.) Et voici comment j’y réponds.

Don Esteban lisant haut. « Cher baron… »

Inès riant. « Cher baron… » lis tout bas.

Don Esteban haut. « Cher baron, je quitte Madrid, ou plutôt je m’enfuis. Je vais passer en Portugal pour des raisons que je vous détaillerai, si vous ne craignez pas de vous compromettre en recevant pour quelques heures seulement une proscrite dans votre château de l’Estramadure. — Vous avez donc fait la folie de vous marier, et si le bruit public… » (Il lit bas.)

Inès. Pour le coup, lisez haut, cher baron.

Don Esteban feignant de lire. Brr… brr… « et si le bruit public est vrai, vous vous êtes marié. Adieu. Sérafine. »

Inès. Oh ! tu n’es pas encore assez fin, Esteban. « Vous avez fait la folie de vous marier, et si le bruit public est vrai, vous vous êtes marié. » Est-ce là du style de duchesse ? Ma foi, il me semble que moi, j’écrirais une lettre mieux que cela.

Don Esteban mettant la lettre dans sa poche. C’est une folle. Mais, Inès, elle arrive aujourd’hui, je le suppose ; peut-être tout à l’heure. Allez vous habiller. Je ne serais pas fâché que vous parussiez dans tout votre éclat devant elle. C’est une vieille coquette, et il faut la faire enrager. Tenez, vous êtes pâle aujourd’hui ; un peu de rouge ne vous irait pas mal.

Inès. Pourquoi veux-tu me faire mentir ? C’est te tromper toi-même. Si tu m’aimes pâle comme je suis, qu’ai-je besoin de chercher à plaire à d’autres ?

Don Esteban. Chère Inès ! — Mais je serais bien aise qu’elle admirât le choix que j’ai fait.

Inès. Eh bien ! je mettrai du rouge pour te plaire, mon