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Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/70

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Madame de Coulanges. Vous ne vous êtes pas enfui ?

Don Juan. Vous êtes malade, Élisa ! Vous êtes folle !

Madame de Coulanges. Retirez-vous, monsieur, vous vous souillez en touchant une misérable comme moi. — J’aurai bien assez de force pour regagner ma chambre toute seule. Elle fait un effort pour se lever, et retombe aussitôt.

Don Juan. Élisa, tout ce que vous dites est faux… Vous et votre mère, ne venez-vous pas de nous découvrir les pièges que nos ennemis nous préparent ?

Madame de Coulanges. J’ignore ce que ma mère a pu vous dire ; mais moi, don Juan, moi, j’ai été payée, payée pour surprendre vos secrets.

Don Juan. Je ne veux pas vous croire.

Madame de Coulanges. Du moment que je vous ai connu, j’ai en quelque sorte changé d’âme… mes yeux se sont ouverts… Pour la première fois j’ai pensé que je faisais mal… j’ai voulu vous sauver… Ô don Juan ! l’amour que je sens pour vous, souffrez que je parle encore de mon amour… mon amour pour vous m’a rendue tout autre… je commence à voir ce que c’est que la vertu… c’est… c’est l’envie de vous plaire.

Don Juan. Malheureuse femme ! maudits soient les barbares qui ont corrompu ta jeunesse !

Madame de Coulanges. Ô don Juan ! vous avez pitié de moi. Mais vous êtes si bon !… vous souffrez quand vous voyez souffrir votre cheval !… Oh ! je penserai à vous toute ma vie… Peut-être aussi Dieu aura-t-il pitié de moi ; car, oui, il y a un Dieu au ciel.

Don Juan. Mais maintenant vous aimez la vertu !

Madame de Coulanges. Je vous aime de toutes les forces de mon âme… Mais je vous dégoûte… je le vois.

Don Juan après un silence. Écoute, Élisa, sois franche ; une seule question… As-tu jamais causé la mort d’un homme ?… Mais, non, ne me réponds pas… je ne te demande rien… je n’ai pas le droit, moi, de te demander cela… Moi !… Eh ! n’ai-je pas combattu à Trafalgar, à Eylau, à Friedland, pour le despote de l’univers ?… N’ai-je pas tué des hommes généreux qui combattaient pour la liberté de leur patrie ?… Il y a quelques jours, n’aurais-je pas, au premier coup de