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Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/71

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tambour, sabré un patriote pour le bon plaisir de l’empereur ? et moi ! j’ose te demander !… Tous les hommes sont des loups, des monstres !… Je suis tenté de lui brûler la cervelle et de me tuer ensuite sur son corps.

Madame de Coulanges. Je vous répondrai, don Juan, je le puis. Je vous le jure par… mais des serments dans ma bouche, qui pourra les croire ? Non, jamais je n’ai causé la mort d’un homme… Relevez-vous, don Juan, reprenez votre anneau… mais remerciez le hasard qui m’a protégée… Si ces mains que vous baisez ne sont pas teintes d’un sang innocent, j’en remercie le hasard.. Avant de vous connaître, je ne sais ce que j’aurais fait…

Don Juan. Tu es aussi vertueuse, Élisa… tu es plus vertueuse que toutes ces bégueules qui, parce qu’elles ont passé leur vie dans un couvent, se vantent de leur courage à résister aux tentations ! Élisa, tu es ma femme !… Ta mère restera ici, je lui donnerai autant d’argent qu’elle en voudra… mais toi, tu me suivras, tu seras mon compagnon, tu partageras toutes mes fortunes.

Madame de Coulanges. Vous êtes fou. Dans un instant vous changerez d’idée, et alors vous vous étonnerez d’avoir jamais senti de la pitié pour une créature comme moi.

Don Juan. Jamais, jamais !

Madame de Coulanges. Oui, je suis assez heureuse, puisque vous ne m’ayez pas déjà repoussée du pied comme un être malfaisant. Je ne veux pas faire le malheur de votre vie en vous prenant au mot dans un moment d’enthousiasme. Il vous faut une femme, don Juan, qui soit digne de vous. Adieu.

Don Juan. Vous ne me quitterez pas, de par tous les diables ! Je ne puis me passer de vous, je ne pourrai jamais aimer que vous. Venez avec moi. — Eh ! qui jamais saura votre histoire en Espagne ?

Madame de Coulanges. Ah ! don Juan !… (Elle lui prend la main) Soit, je vous suis. Mais je ne serai pas votre femme ; je serai votre maîtresse, votre domestique. Quand vous serez las de moi, vous me chasserez… Si vous me souffrez auprès de vous, ce sera entre nous à la vie et à la mort.