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Page:Méry - La guerre du Nizam, Hachette, 1859.djvu/33

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injuste, et vous me traitez en Européen ; moi, galant par habitude, comme un dandy de Kensington-Garden ou du boulevard de Gand ! J’ai passé la moitié de ma vie avec des matelots, et l’autre moitié avec des tigres et des éléphants. On apprend une singulière galanterie en pareille société !

— Oh ! sir Edward, ne vous faites pas si Robinson Crusoé ! Nous connaissons la douceur de vos mœurs sauvages. On a publié à Londres vos histoires secrètes. Vous avez apprivoisé des tigresses à cheveux blonds…

— Madame, j’ai passé toute ma vie au grand soleil, et mes histoires sont claires comme le jour. Si j’avais eu l’art d’apprivoiser une tigresse, elle serait à mes côtés aujourd’hui, et elle porterait mon nom.

— Comme vous êtes sombre en disant cela, sir Edward !

— C’est un nuage qui me traverse l’esprit, et que l’air de la danse a dissipé… Vous m’effrayez, madame ; vos yeux saisissent au vol un éclair ! on ne vous confierait pas une dépêche, scellée du lion et de la licorne, comme on me la confie, à moi, pauvre innocent. Une enveloppe de parchemin ministériel serait transparente pour vous comme un tissu de crêpe chinois.

— Sir Edward, je crois que nous jouons au plus fin.

— Alors, madame, j’ai perdu en commençant le jeu.

— Dansez-vous ordinairement, sir Edward ?…

— Quelle question, madame !…

— Une question comme une autre… Dans une contredanse, avec ces interruptions continuelles, il est impossible de tenir un entretien suivi… On parle au hasard… Je ne me rappelle plus ce que je vous ai demandé.