Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/29

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magnifique, mais je vais vous conduire dans un pays où vous trouverez mieux que Tentyris et Luxor.

Desaix manifesta seul un peu d’hésitation, ou du moins quelque scrupule ; il voulait savoir si le Directoire approuvait l’expédition nouvelle. Bonaparte le prit à part et lui dit :

— Le Directoire me traite comme le sénat de Carthage traitait Annibal. Le Directoire ne m’enverrait ni un soldat, ni un vaisseau. Si Annibal, au lieu de se trouver à Tarente, ayant devant lui la Sicile ou la Grèce, se fût trouvé comme moi aux portes du monde indien, il ne serait pas allé mourir stupidement chez Prusias, roi de Bythinie, auquel il avait demandé l’hospitalité du proscrit. L’Europe est vieille ; la terre orientale est toujours jeune ; la gloire est partout : allons donner à la France le département du soleil. Le Directoire nous tressera des couronnes quand nous aurons réussi. »

L’austère Desaix fit un signe d’adhésion et dit à Bonaparte :

— Tu commandes en chef, je t’obéis. J’ai même déjà trop raisonné.

Le lendemain, l’armée française forte de vingt mille hommes et approvisionnée de toute sorte de munitions et de vivres, se mit en marche pour Jérusalem ; les fanfares envoyaient l’air triomphal de la Caravane, de Grétry, aux échos des montagnes du Garizim et du Carmel. On s’arrêta quelque temps à Samarie, où expire la dernière crête du Carmel, et à Emmaüs, immortalisé par tous les peintres immortels. On franchit ensuite les derniers sommets qui séparent l’antique Nicopolis de Jérusalem, et, au lever du soleil, Bonaparte salua, en s’inclinant, la ville sainte qui se révélait à l’horizon.