Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/50

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nous franchement, capitaine Honoré Lefebvre, on nous a beaucoup parlé, sur la route, des veuves de Malabar. En as-tu vu, de ces veuves, toi ?

— J’en ai vu mille.

— Qui se brûlaient vives ? ajouta Lamanon.

— Qui se mariaient vives, reprit Lefebvre j’en ai épousé une, moi !

— Tu l’as épousée, pour rire ?

— Non, pour pleurer, comme on épouse à Londres, à Paris, à Melun, partout. Une superbe Bengali, grande comme moi, avec des cheveux noirs qui n’en finissent pas, et des yeux de velours fendus en amande, et qui vous parlent la langue de tous les pays !

— Alors, dit Lamanon, c’est donc un conte, cette histoire des veuves qui se brûlent ?

— Non, c’est très-vrai ; mais il y a toujours du faux dans le vrai. Ainsi nous livrâmes, un jour, un combat à Bangalor ; quatre cents Indiens, tous mariés, furent tués : tu comprends qu’il était impossible de faire brûler quatre cents veuves, à Bangalor surtout, pays où il n’y a pas une bûche de bois. Cependant quelques-unes se brûlèrent mal, par excès d’amour-propre ; les autres firent semblant de chercher des cotrets, rencontrèrent des Français et se marièrent au premier état civil venu. Je suis de cette fournée, moi ; les enfants de ces races croisées sont superbes : je ne vous parle pas des miens, ce sont les plus beaux.

— Ah tu es père de famille ? demanda Lamanon.

— Nous sommes tous pères de famille là-bas, et vous le serez aussi, vous autres, après trois ou quatre victoires de