Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bonaparte. L’avenir des Indes est là. Il faut croiser les races pour rajeunir le monde ; il faut marier le Nord avec le Midi, la lune avec le soleil. Si nous continuons à nous marier entre nous, entre voisins et voisines, nous serons bientôt un peuple de crétins ; c’est inévitable. L’expédition de Bonaparte dans l’Inde est un mariage. Quand personne ici ne se battra plus, tout le monde se mariera.

— Mais toutes ces veuves indiennes, demanda le sergent, ne sont pas de notre religion ?

— Bah ! dit Lefebvre, les femmes embrassent toujours la religion de leurs maris. La mienne adorait Siva, Indra, Brama, Rama, elle adorait tout ; elle n’adore plus rien. Un missionnaire l’a baptisée à Madras ; elle est dévote comme une Espagnole, et elle enseigne le Credo à ses petits enfants.

— Ah dit Lamanon, que Bonaparte a bien fait de conduire dans l’Inde les moines catholiques du Mont-Liban ! Voilà une idée !

— Bonaparte connaît toujours la raison de ce qu’il fait, reprit Lefebvre, fions-nous à lui : il veut fonder une idée française et chrétienne. Nous l’aiderons tous.

Un roulement de tambour suspendit les entretiens de la veillée. On allait se remettre en marche à la faveur d’une nuit fraîche et pleine d’étoiles. Au retour de sa promenade, Bonaparte avait décide que l’armée se reposerait dans les oasis, pendant les heures brûlantes du jour, et qu’elle marcherait pendant la première moitié de la nuit.

Le corsaire Honoré Lefebvre était appelé au quartier général.

— Adieu ! dit-il à Lamanon ; j’ai laissé le commandement