Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de bouche en bouche, n’étaient pas complétement vraies. Lord Cornwallis, secondé par un jeune colonel de haute espérance, le marquis de Wellesley (Wellington), ayant appris que l’armée de Saint-Jean-d’Acre marchait sur l’Inde, avait abandonné le siège de la capitale du Mysore, pour défendre à Bonaparte le passage du fleuve de Godavery dans le Dékan.

Typpoo-Saïb se trouva donc tout à coup délivré, à la veille d’un siège, par le seul retentissement du nom de Bonaparte, qui semblait descendre des montagnes de Poonah. C’est qu’il y avait autour de ce grand nom quelque chose d’émouvant et de surnaturel qui effrayait les imaginations. Bonaparte ne se révélait pas comme un conquérant vulgaire débarqué sur la côte du Malabar ou du Coromandel ; c’était comme un génie providentiel parti des confins du monde, échappé aux flottes d’Angleterre, écrasant les cavaleries d’Égypte entre les Pyramides et le Thabor, la montagne de l’homme et la montagne de Dieu, et, toujours poussé par le souffle divin, arrivant à travers des solitudes immenses sur la terre de l’Inde pour y accomplir une œuvre mystérieuse de civilisation, qui serait la renaissance de l’Orient indien.

Aussi, les anciens amis du nom français et de l’héroïque Dupleix accouraient pour voir passer Bonaparte et le saluer comme le messie de l’Occident ; les pèlerins arrivaient en foule de Delhi, d’Agra, de Jésulmir, de Joudpoor, d’Oojein, d’Indoor, et, demandant des armes et un drapeau, ils se faisaient les auxiliaires de la France, avec le même fanatisme qui avait éclaté chez les mamelucks d’Égypte, quand ils chantaient la gloire du sultan Kébir. Au même moment, le roi du Mysore soulevait en notre faveur les peuples