Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/76

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de Belgaum, de Balhary, de Nellore, de Salem, de Tanjore, et même les insulaires de Ceylan, endormis depuis les antiques batailles chantées dans le Ramaïana, par l’Homère des Indiens.

Bonaparte avait bien raison de compter sur l’enthousiasme des enfants du Bengale, et il était trop juste pour s’en attribuer tout l’honneur.

Quand le jeune héros arriva sur le terrain, où Dupleix fonda la ville, nommée par les Indiens Dupleix-Fateabad, la ville de la victoire de Dupleix, une proclamation révéla a l’armée la gloire récente de ce vaillant précurseur qui avait si bien préparé les voies à l’expédition des Indes. La gloire a de très-singulières destinées : bien peu, dans cette armée française, connaissaient le nom et les services de Dupleix ; mais tout le Bengale s’en souvenait. Dupleix n’avait à Paris ni statue, ni tableau, ni buste, ni bas-relief ; son nom n’était inscrit à l’angle d’aucune rue, mais ce nom honorait une ville de l’Asie, et les barbares l’apprenaient à leurs enfants. Jamais plus noble vie ne fut employée à de plus grandes choses ! Dupleix a combattu trente ans sur la terre du Bengale ; il a nommé les Soubabs comme un roi de l’Inde ; il a donné de mortels déplaisirs à nos ennemis de ce temps ; il a régné sur deux cents lieues de côte ; il a rallié à la cause française les peuples du Dékan, et le généreux Mouzaferzingue, le plus puissant des souverains Mahrattes ; il a dépensé, pour cette œuvre immense, quatorze millions, sa fortune et celle de ses amis, et il est mort, en France, indigent, abreuvé de dégoûts et oublié, comme Cortez et Colomb, comme tous ceux qui, par de trop grands services rendus, excitent, à la cour des rois, la