Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/9

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un peu de place au soleil pour les hommes ; voilà soixante siècles que vous jouissez du grand air, et nous habitons la rue Guérin-Boisseau, nous chrétiens baptisés ! Veteres migrate coloni ! Place à la civilisation !

Dans ce même Éden, nommé Pulo-Pinang, le capitaine Montfort a vu un collége où des prêtres catholiques élèvent deux cents enfants indiens, et leur enseignent la langue latine comme une langue vivante, et ces élèves la parlent avec une grande facilité.

Je fus réellement enchanté, dit M. Montfort, de ces dignes ouvriers évangéliques, qui, reprenant la civilisation à son antique base, introduisent la langue de Cicéron et de Virgile dans les contrées les plus voisines de l’aurore. Certes, l’avenir a des secrets impénétrables, mais il nous permet quelquefois de faire un trou à sa toile, et alors on distingue confusément, dans des lointains vaporeux, quelque chose de mieux qu’une conjecture. Ainsi, à propos de ce collége, où des prêtres élèvent de jeunes Indiens, et mêlent les harmonieuses désinences du Ramaïana aux mélodies de la langue de Virgile, on peut entrevoir, dans l’avenir, un monde asiatique nouveau : le latin est le germe de la civilisation chrétienne. Le germe est déposé, l’arbre viendra. Un autre fait bien plus grave vient à l’appui de ce raisonnement, et ce fait, mon ami, vous l’avez développé dans l’appendice que vous avez ajouté à ce livre, avec un rare talent de style et une grande lucidité d’appréciations. Il y a un élément civilisateur et chrétien au fond de cette mystérieuse insurrection chinoise, qui veut anéantir la puissance tartare, et rétablir l’antique dynastie des Mings. La religion de Fo s’écroule ; les grandes