Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/8

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rin pieux et s’est attendri sur le sort de cet Homère, qui, après avoir subi toutes les infortunes, reçut une pension de 100 francs par an de la munificence de Sébastien, roi de Portugal. Après le voyage de Levaillant, je ne connais rien de plus curieux que le livre du capitaine Montfort.

Deux choses m’ont surtout frappé dans ce voyage, deux choses qui entrent au plus vif de mes sympathies et mêlent leur réalité à tous mes rêves indiens traités de paradoxes par les hommes sérieux. M. Montfort a vu à l’œuvre cet intrépide français, Donnadieu, un de mes meilleurs amis, dont le docteur Yvan m’avait déjà donné des nouvelles dans son voyage si curieux, si émouvant, si instructif. Donnadieu compose à lui seul l’avant-garde des défricheurs français dans les Indes. Il a obtenu une concession à Pulo-Pinang. Il ne s’agit pas ici d’arpents et d’hectares, il s’agit de toute une province grande comme la Touraine. On taille dans le large sur l’étoffe des déserts. Donnadieu change les marais en rivières, les landes stériles en jardins, les arbres inutiles en cannes à sucre ; il va, il marche, il court, il sème, coupe, brûle, renverse, féconde : partout il met la vie à la place de la mort, de la stérilité, du néant ; — et son héroïque femme l’accompagne dans ses courses brûlantes à travers les domaines de l’inconnu, et souvent la nuit, sous une tente de coutil rayé, elle entend mugir dans le voisinage les bêtes fauves qui se révoltent contre les pionniers de la France et défendent, avec un tapage nocturne digne d’un orchestre parisien, les forêts vierges qu’Adam leur donna lorsqu’il était seul. Nous sommes beaucoup aujourd’hui ; il est temps de dire aux tigres, aux éléphants, aux rhinocéros, aux lions : Pardon, Messieurs,