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CHAPITRE PREMIER

Quel est donc ce charme ? Des masures, des rues sales, des chiens galeux, n’est-ce pas assez pour dissiper toute illusion ? Non, — Constantinople reste un chef-d’œuvre du beau : ce que les hommes ont jeté d’ombres sur le tableau ne semble qu’un repoussoir destiné à mieux faire ressortir les splendeurs de cette reine des cités.

Comment oublier Sainte-Sophie, un des plus beaux temples que l’homme ait conçus ; admirable aujourd’hui encore, malgré sa vieillesse sur laquelle ont passé, laissant leurs traces barbares, les injures du temps et celles des destructeurs ! et sa copie rajeunie, la mosquée de Suleïman le Magnifique, et les charmes incomparables des rives du Bosphore, et toute cette vie si animée, si originale ?

Il n’est pas jusqu’aux mendiants dont les importunités n’aient leur intérêt. Rien de charmant comme ces impertinentes petites gamines du pont de Galata. Elles ont cinq ou six ans à peine ; drapées dans leurs loques voyantes, elles vous poursuivent, cherchant à vous attendrir par le chant cadencé de leur gazouillement turc où elles vous accablent des souhaits les plus originaux. Aurez-vous le courage de refuser quelques paras ?

Aux approches du Beïram, c’est un autre spectacle. On dirait un carnaval d’un nouveau genre. Dans les rues de Stamboul se pressent et se bousculent les Hammâls, portant chacun à califourchon sur leur dos, comme un enfant, le mouton destiné au jour du grand sacrifice. Ces bêtes placides semblent avoir conscience de leur dignité : il en défile des quantités innombrables ; et dans ces ruelles étroites où il faut jouer du coude, la lutte pour le passage au milieu de cette invasion moutonne devient parfois du plus haut comique[1].

Le « populaire » de Stamboul est intéressant et bon enfant. Dans les rues de Péra, le monde turc se présente sous son mauvais jour. La vieille jalousie turque a dû faire des concessions au

  1. J’ai entendu soutenir que le jour du grand sacrifice on égorge à Constantinople de 10 à 15 000 moutons.