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CHAPITRE XXI

Bien que nous soyons en hiver, les odeurs y sont infectes ; ici les gens tiennent ces émanations pour salutaires et portent souvent leurs malades respirer cet air.

Il me reste à parler du « clou » de Môsoul, de son pont.

Un beau jour il fut décidé dans les conseils de la Sublime Porte qu’un pont en maçonnerie devait remplacer le vulgaire pont de bateaux qui jusqu’alors reliait Môsoul à la rive gauche du fleuve. On se met à l’œuvre et, comme le Tigre a des crues très fortes, l’on commence à construire le pont sur les terrains ordinairement à sec, et que le fleuve n’envahit qu’aux hautes eaux.

La construction s’avance d’abord sans difficultés, et le pont, déjà de fort belles dimensions, semble annoncer un monument digne de la Turquie régénérée. Les travaux se poussent jusqu’au lit où coule le fleuve en temps ordinaire. Arrivés là, les ingénieurs s’arrêtent net ; au lieu de pousser le pont jusque dans les eaux du Tigre, ils adaptent à la dernière des arches jusque-là construites, un plan incliné, auquel ils raccordent le vieux pont de bateaux. — Tout est dit : le pont de Môsoul est construit, les récompenses sans doute sont données ; on ne parle plus de rien.

Voici donc un pont splendide bâti sur terre ferme, et sur le fleuve, un fragile pont de bateaux. Est-ce assez turc !

L’hypothèse naturelle serait d’admettre que les fonds gaspillés en pots de vin, ont manqué au moment critique.

Nul n’exclut cette hypothèse, mais cependant une personne fort sérieuse m’a soutenu que jamais l’on avait eu l’intention de pousser le pont jusqu’au lit du fleuve. Le pont de maçonnerie ne devait servir que pour les hautes eaux ! Dans ce cas, je ne sais quel qualificatif employer, car, quand viennent les hautes eaux, le courant du fleuve devient impétueux ; par précaution, le pont de bateaux est ramené à la rive, et le pont de pierre, rendu ainsi inutile, reste comme une épave perdue au milieu de l’inondation — au demeurant, il ne prend pas même à la limite des crues ordinaires et le plus souvent les hautes eaux le cernent complètement.