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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

l’affirmèrent par la suite les connaisseurs de l’établissement.

Un inconnu lyrique et sentimental grava sur une table cette phrase en yidish, dont la signification équivalait à ceci : « La petite Tilly a le goût du sucre. »

Puis naturellement l’eau continua à couler sous le pont transbordeur.

Quand la guerre éclata, Annah, qui venait d’avoir des malheurs avec la police au sujet de quelques individus d’une nationalité vraiment trop douteuse, pressentit une longue suite de désagréments de cette nature.

Elle vendit son fonds à un certain Joaquin Heresa, totalement inconnu dans Rouen, mais qui possédait des papiers en règle. Ces papiers prouvaient que Joaquin Heresa, né à Bilbao et venant du Havre qu’il connaissait minutieusement, avait longtemps navigué en qualité de capitaine pour le compte de plusieurs compagnies d’une honorabilité indiscutable.

L’affaire avait été négociée par un certain Samuel Eliasar, ancien amant de la belle Annah, et ami reconnu du capitaine Joaquin.

― Jé né veux plus naviguer, disait Heresa en parlant fortement du nez. Jé veux rester ici, à Rouon comme un pontan (ponton).

L’accent d’Heresa était insupportable et le digne homme ne pouvait acheter un paquet de cigarettes sans donner l’impression d’un indi-