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LE BAR DU « POISSON SEC »

des hurlements et des injures vomies pour des motifs qui s’associaient au pittoresque de ce petit café, il savait couvrir toutes les vociférations. C’était toujours lui qui obtenait le dernier mot, sans se soucier des nombreuses offres de persil qu’on lui proposait de tous côtés.

Le perroquet du « Poisson sec » parlait peu mais bien. Il résolvait tous les problèmes sentimentaux posés par des garçons un peu vifs, en glapissant, comme un forcené, sa phrase favorite : « Little boy ! Little girl, digle digle dum baïng ! baïng ! »

En dehors du perroquet et de miss Annah, le « Poisson sec » s’honorait d’une barmaid que l’on nommait Tilly, jolie fille rondelette, canaille et trop rusée pour vivre vieille. Elle dansait le cake-walk, alors de mode récente, entre les tables et coulait de côté, vers les spectateurs des regards harmonieux ainsi que des effets de trombone à coulisse.

Elle connaissait également peu de mots en beaucoup de langues, dont elle se suffisait pour mettre au pas, sans l’intervention de la police, une clientèle habituée, depuis la tendre enfance, à considérer la malhonnêteté comme l’expression la plus directe d’un esprit de qualité.

Tilly mourut d’un coup de couteau, un soir d’été, au coin d’une petite rue très obscure. L’arme, que le propriétaire négligea de sortir de la plaie, venait à coup sûr d’Espagne, comme