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Page:Mac Orlan - Le Chant de l’équipage.djvu/13

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LA CÔTE

― Tiens, chante-nous quelque chose, Adrienne… quelque chose en breton… Non ? Mon Dieu, que tu es bête ! Alors ne chante pas.

― La petite Marie-Yvonne est venue, avec son chien qu’elle appelle son compère, déclara Mme Plœdac sans lever le nez ; c’est une vraie fille de la côte ; elle mange la cotriade et boit du cidre avec les pêcheurs. Car nous avons eu aujourd’hui une barque de Gâvres : des vieux. Il n’y a plus que des vieux, maintenant. Le fils à Moreau a été tué aussi. Son père, vous savez bien, celui que vous avez vu ici en permission, il est à bord d’un patrouilleur.

M. Krühl ne répondit pas. Il se leva aussitôt et s’approcha d’Adrienne, qui tout aussitôt se colla le dos contre la cloison en planches qui séparait la salle à manger des pensionnaires de la grande pièce où l’on servait à boire aux matelots.

― Quelle tourte ! Quelle tourte ! se désola Krühl. Ne dirait-on pas que je suis cet être repoussant dont parle l’Apocalypse. Tiens, jeune fleur d’anchois, donne-moi un autre grog, avec du ruys et du citron. Tu n’avais pas mis de citron dans l’autre.

Il regarda le plafond et lança la fumée de sa pipe sur une araignée qui glissait comme une goutte d’eau au bout de son fil.

― Ah ! Mme Plœdac, c’est la guerre, et je n’en vois pas la fin, qui reste-t-il : comptez un peu…