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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

sant générateur d’images, d’énergie subite et aussi d’impitoyable amertume. L’accordéon de Bébé-Salé, en évoquant la Côte, le plongeait vivant, par association d’idées, dans un désordre de souvenirs bigarrés, où les châles somptueux de Manille permettaient d’entrevoir de belles épaules rondes, où les filles criaient pour le pur plaisir de crier, où les hommes perdaient leur sang dans un jet harmonieux et léger comme une trajectoire de fusée lumineuse, où personne ne retrouvait plus trace de ce qu’il avait pu connaître de bien et de bon dans son enfance.

― Une voile à bâbord, signala le lieutenant, dont l’unique main mettait au point des jumelles à prismes.

― C’est une barque dé pêche, dit le capitaine Heresa.

Krühl, un peu congestionné peut-être, mais le visage impassible, déclara : « On va rigoler ».

Il descendit dans sa cabine et remonta, tenant sous son bras un rouleau de papier gris.

― Viens, dit-il brusquement à un matelot.

L’homme s’approcha, c’était Peter Lâffe.

― Tiens, tu vas hisser immédiatement ce pavillon à la corne du grand mât, après avoir amené l’autre.

― Capitaine, ajouta-t-il en se tournant vers Heresa, avec votre permission, nous allons donner la chasse à ce bâtiment.