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LA CÔTE

daient la rivière de Belon dont l’estuaire s’étalait comme une nappe d’étain fondu.

Une mélancolie pénétrante enveloppait les choses et le petit moulin mort, dont les ailes s’immobilisaient dans le sens de la croix latine.

Le vent soufflait du large, les barques amarrées dans le petit port dansaient sur leurs ancres ou le long du quai. Krühl, les mains dans les poches, la casquette enfoncée sur les oreilles, se hâta de descendre la côte, pour atteindre au plus vite le cabaret de Boutron.

Le vieux matelot, sur le seuil de sa porte, détachait avec un couteau ébréché la boue qui moulait ses sabots.

En voyant Krühl, il entr’ouvrit sa bouche édentée pour sourire sans lâcher sa pipe en patte de tourteau. Une pipe où l’on avait gravé, avec une pointe de clou, une frégate parée de toutes ses voiles, une crucifère avec les initiales de Boutron sur les pétales.

Sans parler, les deux hommes se tendirent la main. Krühl commanda du vin blanc de Nantes et deux douzaines d’huîtres. Boutron remplit son verre d’un tafia très édulcoré.

Ils burent, trinquèrent, claquèrent la langue.

― C’est pus que d’l’eau, dit Boutron en désignant le tafia.

― Bouh ! bouh ! peuh ! souffla Krühl. C’est comme ce muscadet…