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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

Boutron ouvrait les huîtres, le dos appuyé contre les panneaux de son lit sculpté.

― Tu connais la Guadeloupe ?

― Ah ! ah ! ricana Boutron, et la Matinique.

― As-tu visité l’île de la Tortue ?

― Mo pas connin !

Et Boutron, dont la formidable cuite de la veille n’avait fait que de se mettre au point pendant la nuit, fit le geste d’enlacer une femme, naturellement une créole. Il esquissa un pas de gavotte. D’une petite voix cassée et ridicule, inimitablement fausse, il chanta :

Mais nous, Kéoles de la Matinique,
À tous nos amis nous faisons kédit…

― L’île de la Tortue, mon vieux, c’est au nord de Saint-Domingue. Tu aurais pu passer par là. C’était autrefois le centre de la flibuste. Les gentilshommes de fortune fréquentaient cette petite île, et à mon avis, ça devait être plutôt curieux. As-tu vu Bébé-Salé ?

Boutron s’arrêta de danser, les yeux rieurs. Il haussa les épaules.

― Tiens, fit Krühl, il n’y a pas moyen de causer avec toi, tu es encore soûl, tu es toujours soûl.

― Rrr roua roua ! aboya Boutron, qui, entre plusieurs dons naturels, possédait celui d’imiter le fox-terrier. C’était un de ses succès à chaque pardon, de Lenriotte à Moelan. Il se chargeait