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CHITA

Personne ne parlait. La nuit se passa dans l’attente passive d’une mort choisie parmi les plus effroyables.

Une teinte livide annonça le jour. La mer semblait en ébullition et le vent s’acharna avec une violence nouvelle contre les mâts dégarnis de leurs voiles enfin carguées.

― Faut-il abattre les mâts ? hurla Gornedouin à l’oreille du capitaine.

Le capitaine Heresa eut une hésitation, mais il secoua la tête en signe de refus.

Eliasar écroulé à l’arrière, la tête appuyée entre ses mains crispées, regardait droit devant soi, avec des yeux durs et sans reflets. Accroché entre deux haubans, un jupon jaune de Chita claquait au vent comme le symbolique pavillon annonciateur des pestes rapides et des maladies inconnues qui tordent les membres, gonflent les ventres et mortifient les chairs.

La grande vergue de misaine fut emportée et l’Ange-du-Nord, qui donnait de la bande sur tribord, s’immobilisa au bord d’un gouffre noir, entonnoir gigantesque, dont les parois entraînées dans un mouvement giratoire vertigineux brillaient étrangement comme une cuvette d’acier raboté par un tour.

L’Ange-du-Nord hésita au bord de l’abîme, où il resta suspendu en équilibre pendant quelques secondes qui semblèrent s’éterniser. Puis il glissa, s’adapta aux parois de l’entonnoir