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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

ombelles légères, ou le laissant pleuvoir avec la grâce ancienne des palmes romantiques.

Cependant cette richesse de coloration ne parvenait pas à diminuer l’aspect sauvage de cette terre dont les arbres trop beaux ne devaient nourrir que des fruits vénéneux. Là croissaient le mancenillier dont l’ombre, dit-on, est mortelle, des belladones géantes et des euphorbes élégantes dont le suc renferme les secrets de la folie. Aucune vie humaine ou animale ne se révélait. Cette île sans oiseaux, peinte par un peintre habile, influencé par de dangereuses influences, se dressait au milieu du monde réel, comme une fantaisie stérile, conçue et mise au point par un dieu distingué et misanthrope.

L’équipage et l’état-major du brick-goélette regardaient intensivement cette curieuse terre de luxe dont les havres paraissaient des pièges.

Krühl leva les bras vers le ciel et déclama solennellement, d’une voix monotone et puissante :

Mais voilà qu’en rasant la côte d’assez près
Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches,
Nous vîmes que c’était un gibet à trois branches
Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.

Personne ne répondit. Eliasar lui-même ne trouva pas l’occasion de plaisanter Krühl.

― C’est tout de même un drôle de patelin, dit enfin Fernand.