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L’INCONNU

couverte d’une grande écriture malhabile et finalement s’approcha de Pointe. « Tenez, lisez vous-même, je ne vois plus bien. »

Krühl et Pointe penchèrent la tête sur le registre. « Il s’appelle Samuel Eliasar », dirent-ils en même temps.

― Samuel Eliasar ! répéta Pointe. Et tout aussitôt il plissa son front dans un effort. Il en était ainsi chaque fois qu’il rencontrait une personne nouvelle sur sa route. Quand il eut acquis la certitude qu’il ne devait pas un sou à ce Samuel Eliasar, il respira plus librement et reprit sa désinvolture coutumière.

Pendant quatre ou cinq jours les trois hommes cérémonieux et distraits déjeunèrent et soupèrent en tête à tête. Puis Désiré Pointe, qui n’éprouvait aucune sympathie pour Samuel Eliasar, s’en alla faire une neuvaine à Pont-Aven, selon son habitude, car il savait y rencontrer Wilson, le peintre américain dont il avait apprécié à maintes reprises les largesses gastronomiques.

Désiré Pointe était de la gueule comme un mâtin, et pour un bon dîner on l’aurait fait marcher, pieds nus, en chemise et la corde au cou, jusqu’à Sainte-Anne d’Auray.

Pour l’ordinaire, Krühl ne se souciait guère des fugues de son camarade, mais pour cette fois, la perspective de demeurer seul avec le jeune Eliasar le plongea dans une crise de misanthropie larmoyante.