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L’INCONNU

― Est-ce qu’il vient souvent ici ?

― Ma foi non. Quelquefois le matin, en allant chercher ses lettres au bourg.

― Quel est son métier, s’il en a un ?

― Je crois qu’il m’a dit comme ça qu’il était médecin, mais qu’il écrivait des livres. Il m’a dit qu’il était venu ici pour écrire un livre, et qu’il parlerait de moi dans son roman.

― C’est son affaire, dit Krühl, mais si j’ai un conseil à lui donner, c’est de ne pas se livrer à cette sorte de plaisanterie avec moi. Dame non ! Je m’appelle Krühl, bon Dieu ! et des gars comme ça, je les casse !

Il fit le geste de rompre un ennemi imaginaire sur ses genoux.

― Vous devriez aller faire la guerre, dit Marie-Anne.

Krühl se tut.

Le lendemain, le surlendemain, jusqu’à la fin de la semaine, on le vit, dans tous les estaminets de la région, promener son désœuvrement et son humeur agressive.

Il ne prenait plus ses repas à l’hôtel Plœdac, mais préférait casser la croûte au hasard ; tantôt avec Bébé-Salé, tantôt dans la barque du fils Palourde, le boiteux, tantôt avec Boutron son confident.

Quand il ne jouait pas aux cartes, il fulminait contre Mossieu Eliasar. Ce Mossieu, ce petit Mossieu, répétait-il avec emphase.