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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

faible brise, emplissait avec son pouce le minuscule fourneau d’une pipe en terre blanche, dont le long tuyau, un peu courbé, se terminait par un bout de couleur rouge.

« Je vis pour la première fois l’étrange et solennel pavillon noir ; et mon cœur s’arrêta, car mon émotion était extrême ! Vous ne pouvez imaginer quelle signification ce morceau d’étoffe funèbre donnait au navire glissant paisiblement dans le léger clapotis de l’eau contre l’étrave. »

La pipe de Krühl s’était éteinte et sur cette évocation, chacun avait été se coucher. Longtemps, Eliasar, dont la chambre n’était séparée de celle de Krühl que par une mince cloison en carreaux de plâtre, avait entendu son voisin ouvrir des tiroirs, tirer des malles et feuilleter des livres.

Eliasar ne s’était pas senti très ému par le récit de Krühl. Le pittoresque de cette vie d’aventures ne le séduisait pas. Son ignorance de la vie marine le protégeait contre tout enthousiasme intempestif.

Les draps tirés jusqu’au menton, sous la lueur paisible de sa lampe, il feuilletait lui-même un livre que Krühl lui avait prêté,

Il n’était toujours question que de révoltes en pleine mer, tempêtes, abordages, pendaisons, trésors.