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Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/117

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bête, je me dégageai de l’étrier et me relevai.

— Vous l’avez échappé belle, me dit le muletier.

Et c’était vrai. Si l’âne m’eût traîné sur le sol, il se peut bien que ma mort eût été la fin de l’aventure. Je pouvais avoir la tête fendue, une congestion, n’importe quelle lésion interne, et ma science se perdait ainsi dans sa fleur. Le muletier m’avait sans doute sauvé la vie ; c’était positif : je sentais le sang bouillir dans mes veines. Ah ! brave muletier ! Tandis que je reprenais conscience de moi-même, il s’efforçait de raccommoder les harnais de l’âne. Je résolus de lui donner trois des cinq monnaies d’or que j’avais sur moi. Certes j’estimais ma vie à plus haut prix ; — elle avait pour moi une valeur inestimable. Mais enfin la récompense projetée me semblait digne du dévouement de celui qui m’avait sauvé. C’est dit : je vais lui donner les trois monnaies.

— Allons ! me dit-il en me présentant la rêne de ma monture.

— Un instant… répondis-je ; laissez-moi le temps de me remettre.

— Ne dites pas cela…