Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/132

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maines pour le moins. Mon cousin voulait à toute force m’emmener. Un brave garçon, ce Cotrim : de prodigue, il était devenu circonspect. Il faisait alors le commerce des produits alimentaires, et travaillait avec ardeur du matin au soir, sans perdre un moment. Le soir, assis devant sa fenêtre, il caressait ses favoris sans penser à rien. Il aimait sa femme et son fils, qui mourut quelques années plus tard. On le disait avare.

Je refusai toutes les propositions, tant je me sentais abattu. Ce fut alors, je crois, que commença à s’épanouir en moi la fleur jaune de l’hypocondrie, solitaire et morbide, d’un si subtil et si enivrant parfum. « Qu’il est bon d’être triste et de ne rien dire ! » Quand je tombai sur cette phrase de Shakespeare, j’avoue qu’elle trouva en moi un écho délicieux. Je me rappelle que j’étais assis sous un dattier, le livre du poète ouvert sur mes genoux, l’esprit attriste plus encore que le visage. J’avais l’air d’une poule triste. Je serrais dans mon sein ma douleur taciturne, et j’éprouvais une sensation unique qu’on pourrait appeler la volupté de l’ennui. La volupté de l’ennui : retenez cette expression,