Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/174

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role. Ses yeux brillèrent, et l’expression habituelle fit place à une autre, plus douce et mélancolique. Elle fit un mouvement comme pour se cacher ou s’enfuir. C’était l’instinct de la vanité, qui ne dura qu’un moment. Elle se remit.

— Il vous faut quelque chose ? me dit-elle en me tendant la main.

— Non, répondis-je, rien.

Marcella comprit la cause de mon silence. Il ne fallait pas être sorcier. Elle dut seulement hésiter en se demandant ce qui dominait en moi : si c’était la stupeur du présent ou le souvenir du passé. Elle m’offrit une chaise, et de l’autre côté du comptoir, elle me parla d’elle, de son existence, des larmes qu’elle avait versées en me perdant, de ses regrets, de ses revers, de la maladie qui l’avait défigurée, et du temps qui contribuait à sa décadence. Elle avait en vérité l’âme décrépite. Elle avait tout vendu, ou presque tout. Un homme qui l’avait aimée autrefois lui avait laissé cette bijouterie, qui était par malheur mal achalandée, peut-être à cause de cette singularité d’être tenue par une femme. Ensuite elle m’interrogea sur ma vie. Ce fut