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Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/234

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sentis l’attraction de l’abîme. Je ne pensais qu’à mon ancien camarade, à nos courses à travers les collines, à nos jeux et à nos gamineries ; et en comparant l’homme et l’enfant, je me demandais pourquoi je n’atteindrais pas où il avait atteint lui-même. J’entrai dans le jardin public et, là encore, tout semblait me répéter :

— Pourquoi donc, Cubas, ne serais-tu pas ministre ? Pourquoi ne serais-tu pas ministre, Cubas ?

En entendant cette voix universelle, j’éprouvais une délicieuse sensation dans tout mon organisme. J’entrai, j’allai m’asseoir sur un banc, tout en ruminant cette pensée. C’est Virgilia qui serait contente ! Quelques instants plus tard, je vis s’approcher de moi un individu qui ne m’était pas inconnu. Je le connaissais, mais d’où ?

Figurez-vous un homme de trente-huit à quarante ans, haut, maigre et pâle. Ses vêtements, abstraction faite de la forme, paraissaient revenus de la captivité de Babylone ; son chapeau était contemporain de celui de Gessler. Imaginez maintenant une redingote plus large que ne comportaient les chairs, ou plus littéralement