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Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/33

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pour un moribond ! Il sortit ; Virgilia demeura debout ; durant quelques instants nous nous regardâmes en silence. Qui l’eût dit ? de deux grands amoureux, de deux passions effrénées, il ne restait rien après vingt années : rien, ou tout au plus deux cœurs desséchés, dévastés par la vie et rassasiés d’elle, peut-être pas autant l’un que l’autre, mais enfin rassasiés tous deux. Virgilia avait alors la beauté de la vieillesse, un air austère et maternel. Elle était moins maigre qu’à notre dernière rencontre à la Tijuca dans une fête de la Saint-Jean. Elle faisait tête au temps : c’est à peine si quelques fils blancs s’intercalaient entre ses cheveux noirs.

— Voilà que vous rendez visite aux défunts, lui dis-je.

— Qui parle de défunts ? répondit-elle en faisant la moue.

Et après m’avoir serré la main :

— Je m’occupe de secouer les paresseux.

Elle n’avait plus la caresse attendrie d’un autre temps, mais sa voix était amicale et douce. Elle s’assit. J’étais seul chez moi, en compagnie d’un simple infirmier. Nous pouvions nous parler en toute franchise. Virgilia me donna