Aller au contenu

Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sagacité, tu diras encore que tu veux vivre.

Ce disant, la vision étendit le bras, me saisit par les cheveux, m’éleva dans les airs comme elle eût fait d’une plume. Alors seulement je contemplai de près son visage qui était énorme. Il était d’une quiétude parfaite, sans contorsions, sans expression de haine ou de férocité. Sa caractéristique unique et complète était l’impassibilité égoïste, l’éternelle surdité, la volonté immobile. Ses colères, si elle en ressentait, demeuraient enserrées dans son cœur. En même temps, sur ce visage glacial, il y avait un air de jeunesse, de force et de santé, en présence duquel je me sentais le plus débile et le plus décrépit des êtres.

— M’entends-tu ? dit-elle enfin, au bout de quelques instants de mutuelle contemplation.

— Non, répondis-je ; je ne veux pas te comprendre, tu es absurde, tu es un mythe. Je rêve, sans doute ; ou si par hasard je suis devenu fou, tu n’es qu’une conception d’aliéné, une chose vaine, que la raison absente ne peut ni diriger ni palper. La Nature ?… celle que je connais est bien une mère, mais non une ennemie. Elle ne fait pas de la vie un fléau ; elle n’a pas, comme