Page:Machado de Assis - Quelques contes.djvu/117

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Il commença à jouer quelque chose d’original, une inspiration réelle et spontanée, une polka, une polka très dansante, comme disent les annonces. Aucune hésitation de la part du compositeur ; les doigts arrachaient les notes du clavier, les liaient, les éparpillaient. On eût dit que sa muse composait et dansait en même temps. Pestana avait oublié ses élèves, son nègre qui l’attendait avec la canne et le parapluie ; il avait oublié jusqu’aux portraits qui pendaient gravement au mur. Il composait, jouant ou écrivant, sans les vains efforts de la veille, sans exaspération, sans rien demander au ciel, sans interroger Mozart du regard. Aucune fatigue. Grâce, nouveauté, vie, découlaient de son âme, comme d’une fontaine jaillissante.

En un moment la polka fut achevée. Il corrigea encore certains passages, quand il revint pour dîner. Mais déjà il la chantait en marchant dans la rue. Elle lui plut. Dans la composition récente et inédite, circulait le sang de la paternité et de la vocation. Deux jours après, il la porta à l’éditeur des autres polkas, qui atteignaient déjà la trentaine. L’éditeur la trouva charmante.