Page:Machado de Assis - Quelques contes.djvu/208

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mal. Il leur est défendu d’y toucher et d’en manger les fruits. Va, entre, entoure l’arbre de tes anneaux, et quand l’un ou l’autre passent, appelle-le doucement, coupe un fruit, et offre-le-lui, en disant qu’il n’y en a pas au monde de plus délectable. S’il te répond que non, tu insisteras, en disant qu’il suffit d’en manger pour connaître le secret même de la vie… Va, va…

— J’y vais ; mais je ne parlerai pas à Adam. je parlerai à Ève. J’y vais… « Que c’est le secret même de la vie », n’est-ce pas ?

— Oui, le secret même de la vie. Va, serpent de mon cœur, fleur du mal, et, si tu réussis, je te jure que la meilleure part de la création t’appartiendra, l’humanité tout entière, car tu pourras mordre à loisir le talon de plus d’une Ève, corrompre avec le venin du mal le sang de plus d’un Adam. Va, va, n’oublie pas…

— Oublier, je sais déjà la leçon par cœur.

Il rampa, pénétra dans le Paradis, se glissa jusqu’à l’arbre du bien et du mal, s’y enroula et attendit. Ève apparut au bout d’un instant, marchant seule, svelte, avec l’assurance d’une reine qui sait qu’on ne lui enlèvera pas la cou-