Page:Machado de Assis - Quelques contes.djvu/250

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regarda aussi Jeannette, et il vit que, comme tout le monde, elle ne quittait pas Queiroz des yeux, enivrée, passionnée pour les sons de cette mélodie ; et il tressaillit sans savoir pourquoi. Les autres visages reflétaient les mêmes impressions, et cependant, il éprouva quelque chose qui augmenta son aversion pour l’intrus. Quand la flûte se tut, Jeannette applaudit un peu moins que les autres, et il se demanda si c’était l’effet de la timidité habituelle de la jeune fille, ou d’une émotion spéciale… Il n’était que temps de lui remettre la lettre.

À l’heure du souper, les invités entrèrent confusément dans la salle à manger, et un heureux hasard plaça Rangel en face de Jeannette, dont les yeux étaient plus beaux que jamais, et d’une clarté si humide qu’ils paraissaient différents d’eux-mêmes. Rangel se délecta silencieusement à leurs charmes, et reconstruisit son château de cartes, que Queiroz avait secoué d’une chiquenaude. Ce fut ainsi qu’il se vit de nouveau près d’elle, dans la maison qu’il allait louer, nid d’amoureux qu’il embellit de tout l’or de son imagination. Il finit même par tirer un lot à la loterie, et l’employa à l’achat