Page:Machado de Assis - Quelques contes.djvu/338

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perpétuel, explique-toi. Conte-moi tout. Tu partis donc de Jérusalem…

Ahasvérus. — Oui, je partis de Jérusalem. Je commençai mon voyage à travers les temps. J’allais partout, quelle que fût la race, le culte ou la langue. Sous le soleil ou sous la neige, chez les civilisés et les barbares, sur les îles et les continents, partout où l’homme respira, j’ai respiré. Jamais plus je ne travaillai. Le travail est un refuge. Je n’ai plus connu ce refuge. Chaque matin je trouvais sur moi le viatique journalier… Tiens ! voici la dernière pièce. Va-t’en, qu’ai-je maintenant besoin de toi. (Il rejette loin de lui la monnaie.) Je ne travaillais pas ; je marchais seulement, toujours, toujours, journée sur journée, an sur an, et pendant toutes les années, et durant tous les siècles. L’éternelle justice a su ce qu’elle faisait : elle a superposé l’oisiveté à l’éternité. J’ai passé d’une génération à l’autre. Les langues en s’éteignant conservaient mon nom encastré dans leur squelette. La mémoire des faits se perdait au détour des siècles ; les héros s’estompaient dans la pénombre et l’éloignement, se dissolvaient dans le mythe ; et l’histoire tombait par