Page:Machado de Assis - Quelques contes.djvu/337

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pérégrination à travers les cités et les âges. Dans toute âme subalterne, le zèle se fait ridicule ou cruel. Tel fut mon irrémissible péché.

Prométhée. — Il fut grave, en vérité ; et la sentence fut douce. Les autres hommes ne lurent de la vie qu’un chapitre ; tu as parcouru le livre tout entier. Un chapitre ignore l’autre chapitre. Toi, qui les as lus tous, tu peux les coordonner et conclure. Il y a des pages mélancoliques, il y en a d’autres joviales et heureuses. La convulsion tragique précède le rire, la vie naît de la mort, les hirondelles et les cigognes reviennent sous les climats qu’elles avaient fuis. Tout recommence ; tu as pu t’en apercevoir, non pas dix fois, ni mille, mais incessamment et toujours. Tu as vu la splendeur des aspects terrestres guérir l’affliction de l’âme, et l’allégresse du cœur revêtir de beauté la désolation des choses. Telle est la danse alternée de la Nature, qui donne la main gauche à Job, et la droite à Sardanapale.

Ahasvérus. — Que sais-tu de ma vie ? rien. Tu ignores la vie humaine.

Prométhée. — J’ignore la vie humaine ? moi… c’est à mourir de rire. Allons ! homme