Page:Machado de Assis - Quelques contes.djvu/75

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tifs et curieux. Ici j’eus peur. Je pensai que, puisqu’ils voyaient tout ce qui se passait à l’intérieur des gens, comme si ceux-ci fussent de verre, pensées cachées, intentions ourdies, haines secrètes, ils pouvaient bien avoir découvert en moi quelque péché ou quelque germe de péché. Mais je n’eus guère le temps de réfléchir ; saint François de Sales commençait son récit.

— Mon bonhomme a cinquante ans, dit-il. Sa femme est alitée, malade d’un érysipèle à la jambe gauche. Il y a cinq jours qu’il vit dans l’affliction, car le mal s’aggrave, et la science ne répond plus de sauver la patiente. Voyez pourtant jusqu’où peut aller le préjugé public. Nul ne donne crédit à la douleur de Sales (il porte mon nom), personne ne croit qu’il aime autre chose que l’argent ; et, dès que la nouvelle de son affliction courut dans le quartier, ce fut une pluie de railleries et de quolibets. Il s’est même trouvé des gens pour dire qu’il gémissait par anticipation sur les dépenses de la sépulture.

— Et c’est bien possible, remarqua saint Jean.

— Eh bien, non. Qu’il soit usurier et avare, nul ne le nie : usurier comme la vie ; avare