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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/312

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LE LIVRE

Mais ainſi, (come autres fois vous ay eſcript,) ce que je ne ſuis mie digne de vous amer me donne trop de pointures & de penſées dont je n’euſſe meſtier. Touteſvoies je m’atens & fie en voſtre bonté : car je n’ay nul autre fors moy & ma loyauté, qui m’aidera touſdis, ſe Dieu plaiſt, envers vous. Et ſe Dieus me doint joie, je vous aime tant, & priſe tant l’onneur & la bonté de vous, qu’il ne me puet ſembler que vous aiez pareille. Si ne ſaroie penſer qu’il peuſt avoir nul mal en vous, & vous tiens bien pour excuſée de tout ce que vous m’avez mandé.[1] Et auſſi j’ay moult grant joie de ce que on ne vous diſt onques choſe de my par quoy je déuſſe laiſſier à envoyer vers vous ne vous vers moy. Et auſſi, je penſe certainement que tout ce que vous en avez fait & faites, c’eſt pour le meilleur. Et ſe vous dites que je vous mette ſus choſe que vous ne penſaſtes onques & que vous ne me pourriez oublier ne laiſſier, pardonnez-le moy s’il vous plaiſt ; car, en l’ame de moy, en tout le ſiecle je n’ay penſée que à vous, ne je ne pourroie ne ſaroie amer ne deſirer autre que vous ; & ce eſt ſans partir ne muer. Et, par Dieu, je me ſuis cent fois repenti des lettres que je vous envoiay. Et, mon tres-dous cuer, je vous promet & jur loyaument que ſe jamais vous ne m’eſcriſiez ne n’envoiez vers moy, ne ſe jamais je ne vous véoie, (dont Dieus me gart !) jamais je ne vous eſcriray, diray ne commanderay choſe dont vous doiez courrecier à mon povoir. Et, ſe Fortune ou li temps me ſont contraire, je ſoufferray au mieus que je porray & ſi en lairay Amours convenir. Mon tres-dous cuer, j’ay fait le rondel ou voſtre nom eſt, & le vous éuſſe envoié par ce meſſaige : mais par m’ame je ne l’oÿ onques[2] & n’ay mie acouſtumé de bailler choſe que je face, tant que je l’aye oÿ. Et ſoyez certaine que c’eſt une des bonnes choſes que

  1. Apparemment par le frère de la dame.
  2. Je ne l’oy. Il veut dire qu’il ne l’a pas encore fait chanter devant lui, pour le bien juger.