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JULES VERNE

détour qui Jes ramena au sentier, tous quatre reprirent leur marche, et, vers six heures, un lieu de halte fut choisi au pied d’une énorme roche. Le jour qui suivit n’amena aucun inci­ dent. Les difficultés de route ne s’accrurent pas et une trentaine de kilomètres furent fran­ chis dans la direction du sud-ouest. Quant au cours d’eau si impatiemment réclamé par Max Iluber, si affirmativement annoncé par Kha­ mis, il ne se montrait pas. Ce soir-là, apres un repas dont une anti­ lope, dite antilope des brousses, fournit le menu peu varié, on s’abandonna au repos. Par malheur cette dizaine d’heures de som­ meil fut troublée par des milliers de chauvessouris de petite et de grande taille, dont h* campement né, fut débarrassé qu’au lever du jour : « Trop de ces harpies, beaucoup trop !... s’écria Max Huber, lorsqu’il se remit sur pied, tout baillant encore après une si mauvaise’ nuit. — Il ne faut pas se plaindre... dit le fore­ loper. — Et pourquoi ?... — Parce que mieux vaut avoir affaire aux chauves-souris qu’aux moustiques, et ceux-ci nous ont épargnés jusqu’ici. — Ce qui serait le mieux. Khamis, ce serait d’éviter les uns comme les autres... — Les moustiques... nous m’ les éviterons pas, monsieur Max... — Et quand serons-nous dévorés par ces abominablés insectes ?... — Quand nous traverserons la forêt aux approches d’un rio... — Un rio !... s’écria Max Iluber. Mais, après avoir cru au rio, Khamis, je ne peux plus y croire !... — Vous avez tort, monsieur Max, et peutêtre n’est-il guère éloigné !... » Le foreloper, en effet, avait déjà remarqué quelques modifications dans la nature du sol, et, dès trois heures de l’après-midi, son observation tendit à se confirmer. Ce quar­ tier de la forêt devenait sensiblement maré­ cageux. Çà et là se creusaient des flaques

hérissées d’herbes aquatiques. On put meme abattre des gaugas, sortes de canards sau­ vages dont la présence indiquait la proximité d’un cours d’eau. Egalement à mesure que le soleil déclinait à l’horizon, des coassements de grenouilles se faisaient entendre. « Le pays des moustiques n’est pas loin...» dit le foreloper. Pendant le reste de l’étape, la marche s’ef­ fectua sur un terrain difficile, embarrassé de ces phanérogames innombrables, dont un climat humide et chaud favorise le dévelop­ pement. Les arbres plus espacés étaient moins tendus de lianes. Max Iluber et John Cort ne pouvaient mé­ connaître les changements que présentait cette partit’ de la forêt en s’étendant vers le sud-ouest. Toutefois, en dépit des pronostics de Kha­ mis, le regard, à travers les dessous de bois en cette direction, ne saisissait encore aucun miroitement d’eau courante. Puis, en même temps que s’accusait la pente du sol, les fondrières devenaient plus nombreuses. Il fallait une extrême attention pour ne point s’ enlizer. D’ailleurs, à s’en retirer, on ne le ferait pas sans piqûres. Dos milliers de- sangsues fourmillaient dans 1rs flaques, et, à leur surface, couraient des myriapodes gigantesques, répugnants arti­ culés de couleur noirâtre, aux pieds rouges, bien faits pour provoquer un insurmontable dégoût. En revanche’, quel régal pour les yeux, ces innombrables papillons aux teintes cha­ toyantes, ces gracieuses libellules, dont tant d’écureuils, de civettes, de bengalis, de veuves, de genettes, de martins-pêcheurs, qui se montraient sur le bord des flaques, devaient faire une consommation prodi­ gieuse ! Le foreloper remarqua en outre (pie non seulement les guêpes, mais encore les mou­ ches tsetse abondaient sur les buissons. Heu­ reusement, s’il fallait se préserver de l’aiguil­ lon des premières, il n’y avait pas à se préoc­ cuper de la morsure des secondes. Leur venin n’est mortel qu’aux chevaux, aux chameaux,