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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/243

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J. LERMONT

que je suis restée à la distillerie avec vous tous ; elle m’a expressément défendu d’aller à Beau-Soleil, et l’usine c’est chez vous comme Beau-Soleil, n’est-il pas vrai, cousin ?

— Très vrai, ma chère petite, mais de toutes les manières il faut vous résigner à ce que la pauvre Dorothée soit fâchée, contre vous si vous entrez, ou contre moi, si je vous laisse là avec votre âne récalcitrant.

— Alors, dit Irène, se décidant aussitôt, j’aime mieux que ce soit contre moi, cela passera plus vite. »

Pendant que sa petite maîtresse, donnant le bras d’un côté à Marthe et de l’autre à Nadine, franchissait le seuil de la distillerie, Vol-au-Vent, doucement conduit par le concierge, consentit à se mettre en marche, mais, en passant devant Philippe toujours appuyé au mur, l’animal eut un mouvement de recul.

« Que fais-tu là, mon ami ? demanda M. Brial à la vue du jeune garçon dont la mine, moitié penaude, moitié offensée, était vraiment risible ; allons, prends ton parti de la maladresse que tu as commise. En frappant un âne qui s’obstine on risque des accidents. À ton âge, on n’est pas toujours prudent, mais je t’assure que bouder ne raccommode rien.

— Je ne boude pas, monsieur, pas du tout, je… je me suis tordu le pied, il me fait horriblement souffrir et je préfère m’asseoir dans le bureau que de visiter la distillerie.

— À ton aise, mon garçon, suis l’exemple de Vol-au-Vent, soigne ton caractère », répliqua gaiement M. Honoré qui, démêlant fort bien le mensonge du jeune orgueilleux, l’abandonna à lui-même.

A. Mouans.

(La suite prochainement.)


EN FINLANDE

(SOUVENIRS D’UNE JEUNE FILLE)

VII


Vite s’envolaient les jours d’hiver. Tout d’un coup, sans transition, l’été vint. En un temps incroyablement court, sans que nous ayons eu de printemps, ainsi que dans les climats tempérés, l’air devint chaud, les arbres se couvrirent de feuilles, les moissons surgirent de terre comme par un coup de baguette. Nos grands plaisirs alors furent les pique-niques. L’automne précédent, nous en avions déjà fait. C’était ce que nous appelions : « les pique-niques aux pommes de terre ». Dans les champs bordés d’arbres rougis par les premiers froids nous passions la journée en bande.

Quelques jours à l’avance, la trésorière quêtait ; les écolières donnaient ce qu’elles pouvaient, ce qu’elles voulaient, sans que personne songeât à contrôler, à regarder dans quelle mesure chacune s’était cotisée ; une commission déléguée aux acquisitions travaillait : le matin du pique-nique, levées dès l’aurore, les fillettes chargées de cette importante partie du programme s’en allaient au marché munies de paniers comme de vraies petites ménagères. Après avoir bien examiné les denrées que les campagnardes apportaient toutes fraîches de leurs champs ou de leurs laiteries, elles choisissaient les pommes de terre qui leur paraissaient devoir être plus particulièrement savoureuses. Puis, c’était une grande affaire de se décider pour le beurre, tant semblaient parfaites les mottes blondes dans leur petit panier d’écorce de bouleau, sorte de carton à chapeau, de forme ovale, à dessins et enjolivements gravés dans l’écorce tendre au moyen d’une pointe de fer rougie au feu. Le mot voita (beurre) s’étalait sur le couvercle en grosses lettres, de cette couleur