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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/251

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MICHEL ANTAR

dans la brousse, loin des habituelles occasions de mal faire et des tentations de la ville.

Le dîner, servi dans les jardins, au pied des palmiers, se prolongea passablement. Après le café, on fit de la musique ; on chanta ; on causa, peu inquiet du voisinage de Figuig et de son Bou Amema.

Les officiers du bureau arabe, invités en mon honneur, s’étant levés pour regagner leur maison fortifiée, nous les avons accompagnés par la nuit noire. En tête, marchait un lieutenant porte-lanterne ; derrière lui venait l’interprète, grattant de la mandoline ; enfin, nous autres — une demi-douzaine — en « monôme ». À la porte du bordj, je ne sais quelle idée saugrenue nous prend. Autour de la lanterne, posée par terre, nous tournons en cercle, chantant la Retraite espagnole. J’en ris encore en y songeant.

Tout paraissait dormir dans la redoute, à notre retour. Nul bruit ne troublait le silence, ni des chambres, ni des écuries. Partout l’obscurité la plus épaisse ; partout, sauf dans la tourelle, où la lampe du poste optique, en communication avec Aïn-Sefra, brillait et s’éteignait alternativement, selon le rythme de l’alphabet Morse.

Lente et silencieuse, la sentinelle déambulait sur une planche fixée à l’intérieur des murs, au-dessus du portail. De temps en temps elle s’arrêtait, regardant par-dessus la muraille, cherchant à percer les ténèbres extérieures. Fichue position, la nuit, sur cette planche étroite, sans garde-fou, à cinq ou six mètres du sol ! Pas moyen de s’endormir, sinon, quelle chute ! C’est qu’aussi la sécurité de la garnison reposait tout entière sur l’attention de la sentinelle. Et puis, dans une guérite placée, comme d’habitude en France, au dehors, elle eût couru le danger d’être enlevée.

Avant de gagner mon lit, je m’arrêtai
DJENIEN, LES JARDINS ET LA REDOUTE
un moment chez le médecin-major. Un vrai cabinet d’histoire naturelle, sa chambre. Sur des rayons, de nombreux bocaux se serraient, où, dans l’alcool, se conservaient des échantillons de la faune du pays : scorpions jaunes et noirs, caméléons, vipères à corne, que sais-je encore ?

Dans une immense caisse, qui encombrait un coin de la pièce, dormaient des « debb ». Réveillés par la lumière, un tantinet excités par le docteur, les voilà se livrant à un combat furieux qui ne prend fin qu’avec la lampe enlevée.

Ces « debb » sont de grands lézards mesurant quarante centimètres et plus. Leur queue, de même longueur que le corps, est recouverte d’écailles superposées qui rappellent le tronc du palmier. Pour cette seule raison on les appelle parfois « lézards de palmier », car ils vivent dans les rochers. Des dents très pointues garnissent leur large bouche ; aussi, malheur au doigt qui se laisse pincer ! Les indigènes en sont très friands ; ils en estiment surtout la queue grasse et charnue. Mais voyez-vous cet en-tête de menu : « Potage à la queue de lézard ?… » De quoi laisser loin en arrière la britannique et savoureuse : Ox tail soup !

Michel Antar.