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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/271

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J. DE COULOMB

— Ne te tourmente pas ! répondit Salvador d’un ton protecteur. Dès qu’elle me verra, elle comprendra tout. »

La pluie tombait à présent… L’eau ruisselait dans la hutte, sauf dans le tout petit coin où les enfants s’étaient blottis l’un contre l’autre :

« Qu’est-ce que tu as de dur dans ta poche ? » demanda Gracieuse, au bout d’un moment.

Salvador, pour ne pas avouer sa faute, l’aggrava par un mensonge :

« C’est des pierres, » répondit-il.

Et, s’il n’avait pas fait si noir, Gracieuse l’eût vu rougir.

Elle ne lui en demanda pas davantage et de nouveau ils se turent…

La pluie commençait à diminuer… le tonnerre s’éloignait du côté de la montagne où on l’entendait rouler d’écho en écho, comme si des géants se fussent amusés, là-bas, à jouer aux quilles avec des morceaux de Pyrénées.

Au bord de la mer, les orages sont souvent terribles ; mais ils vont vite, emportés sur l’aile du vent.

Les enfants purent, un quart d’heure après, se risquer à quitter leur abri, et, la main dans la main, leurs pieds nus faisant flic-flac dans la boue du chemin, ils reprirent leur course vers le Socoa.

S’ils n’avaient pas connu le pays comme ils le connaissaient, ils se seraient sûrement noyés ou rompu le cou avant d’être arrivés à destination !…

Les embûches étaient partout !…

Ici, c’étaient les traverses de bois du petit chemin de fer qui va à la digue… Là, le bord, sans parapet, du port, très profond à marée haute… Plus loin, le sentier de chèvres qui escalade la falaise…

Grâce à leur longue habitude de tous ces mauvais pas, nos petits amis se tirèrent parfaitement d’affaire et atteignirent, sains et saufs, la vieille bicoque, si déjetée vers l’est, que, lorsqu’elle gémissait sous l’effort des vents d’hiver, on la croyait toujours prête à s’effondrer !…

La maman de Gracieuse ne dormait plus, et, si elle ne s’était pas préoccupée de sa petite fille, c’est que, n’ayant pour toute veilleuse que les éclairs du ciel, elle s’était imaginé que l’enfant reposait sur son matelas de varech. Elle fut bien surprise en l’entendant arriver du dehors.

« Ama ![1] », dit la fillette, je vous amène Salvador, il vient pour vous guérir !

Et pendant que le garçonnet s’approchait de la malade à tâtons, Gracieuse alluma un bout de chandelle qui éclaira imparfaitement la grande chambre aux poutrelles noires.

Salvador commença par réciter la courte prière que sa maman lui avait apprise, puis il s’assit au pied du lit sur une chaise dépaillée — la seule qu’on vît dans le pauvre logis — et il attendit que son pouvoir opérât.

Mais il n’opérait pas vite !… La malade était toujours très rouge, très accablée ; elle avait refermé les yeux et sa respiration devenait de plus en plus difficile.

Gracieuse n’osait pas bouger ; elle croyait que sa maman serait guérie tout de suite et elle trouvait le temps bien long : c’est que ça n’avait pas l’air d’aller mieux ! oh ! mais pas du tout !…

Salvador montra bientôt quelques symptômes d’agitation : il remuait les jambes, il se grattait la tête, il fourrait les mains dans ses poches…

Le souvenir de ce que sa maman lui avait souvent répété lui revenait à l’esprit : « Lorsqu’un petit salvador a été méchant, il perd son pouvoir !… »

Le bon Dieu pouvait-il, en effet, exaucer la prière d’un mauvais sujet qui avait pris ce qui ne lui appartenait pas, d’un voleur ? Car, enfin, il n’était pas autre chose !…

Et, à cette pensée désolante, Salvador retira les mains de ses poches et les porta à sa figure en éclatant en sanglots :

« Je ne le ferai plus, mon Dieu ! cria-t-il. Je vous le promets !… »

L’explosion subite de ce désespoir secoua la torpeur de la malade ; elle rouvrit les yeux et elle aperçut devant elle un petit bonhomme aussi barbouillé de noir qu’un ramoneur et

  1. Maman, en basque.