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JULES VERNE

instinctif et le même chez tous les humains... une preuve de plus que ces primitifs touchent de très près à l’humanité... » Quelques minutes après, les visiteurs arrivaient dans un quartier du village plus ombragé où les cimes enchevêtraient leur feuillage. Li-Maï s’arrêta devant une paillotte pro­ prette, dont le toit était fait des larges feuilles de l’ensète, ce bananier si répandu dans la grande forêt, ces mêmes feuilles que le fore­ loper avait employées pour le taud du radeau. Une sorte de pisé formait les parois de cette paillotte à laquelle on accédait par une porte ouverte en ce moment. De la main, l’enfant la montra à Llanga qui la reconnut. « C’est là », dit celui-ci. A l’intérieur, une seule chambre. Au fond, une literie d’herbes sèches, qu’il était facile de renouveler. Pour uniques ustensiles, deux ou trois calebasses, une jarre de terre, pleine d’eau, et deux pots de même substance. Ces sylvestres n’en étaient pas encore aux four­ chettes et mangeaient avec leurs doigts. Çà et là, sur une planchette, fixée aux parois, des fruits, des racines, un morceau de viande cuite, une demi-douzaine d’oiseaux plumés pour le prochain repas et, pendues à de fortes épines, des bandes d’étoffe d’écorce et d’agoulie. Un Wagddi et une Wagddienne se levèrent au moment où Khamis et ses compagnons pénétrèrent dans la paillotte. « Ngora !... ngora !... Lo-Maï... La-Maï ! » dit l’enfant. Et le premier d’ajouter, comme s’il eut pensé qu’il serait mieux compris : « Vater... vater !... » Et le mot de « père », il le prononçait en allemand fort mal. D’ailleurs, quoi de plus extraordinaire qu’un mot de cette langue dans la bouche de ces Wagddis ?... A peine entré, Llanga était allé à la mère et celle-ci lui ouvrait ses bras, le pressait contre elle, le caressait de la main, témoi­ gnant toute sa reconnaissance pour le sauveur de son enfant.

Voici ce qu’observa plus particulièrement John Cort : Le père était de haute taille, bien propor­ tionné, d’apparence vigoureuse, les bras un peu plus longs que n’eussent été des bras humains, les mains larges et fortes, les jambes un peu arquées, la plante des pieds entière­ ment appliquée sur le sol. II avait le teint presque clair de ces tribus d’indigènes, qui sont plus carnivores qu’her­ bivores, une barbe floconneuse et courte, la chevelure noire et crépue, une sorte de toison qui lui recouvrait tout le corps. Sa tête était de moyenne grosseur, ses mâchoires peu proéminentes ; scs yeux, à la pupille ardente, brillaient d’un vif éclat. Assez gracieuse, la mère, avec sa physio­ nomie avenante et douce, son regard qui dénotait une grande affectuosité, ses dents bien rangées et d’une remarquable blancheur, et — chez quels individus du sexe faible la coquetterie ne se manifeste-t-elle pas ? — des fleurs, des feuilles dans sa chevelure, et aussi — détail en somme inexplicable — des grains de verre et des perles d’ivoire, cette jeune Wagddienne rappelait le type des Cafres du Sud, avec ses bras ronds et modelés, ses poignets délicats, ses extrémités fines, des mains potelées, des pieds à faire envie à plus d’une Européenne. Sur son pelage laineux était jetée une étoffe d’écorce, qui la serrait à la ceinture. A son cou pendait la médaille du docteur Johausen, semblable à celle que por­ tait son enfant. Converser avec Lo-Maï et La-Maï n’était pas possible, au vif déplaisir de John Cort. Mais il fut visible que ces deux primitifs cherchèrent à remplir tous les devoirs de l’hospitalité wagddienne. Le père offrit quelques fruits qu’il prit sur une tablette, ces matofés qui proviennent d’une liane de pénétrante sa­ veur. Les hôtes acceptèrent les matofés et en mangèrent quelques-uns à l’extrême satisfac­ tion de la famille Li-Maï. Et alors il y eut lieu de reconnaître la jus­ tesse de ces remarques faites depuis long­ temps déjà : c’est que la langue wagddienne,