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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/330

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LA GRANDE FORÊT

cérémonie de ce jour auprès de son maître en qualité de dignitaire, et pourquoi pas de premier ministre ?... Ainsi les Wagddis n’avaient pas traité le docteur Johausen plus mal que Khamis et ses compagnons. Très probablement frappés de sa supériorité intellectuelle, ils en avaient fait leur souverain, — ce qui eût pu arriver à John Cort ou à Max Huber, si la place n’eût été prise. — Donc, depuis trois ans, le docteur Johausen, le Père Miroir — c’est lui qui avait dû apprendre cette locution à ses sujets — occupait le trône wagddien sous le nom de Mselo-Tala-Tala. Cela expliquait nombre de choses jusqu’alors assez inexplicables — comment plusieurs mots de la langue congolaise figuraient dans le langage de ces primitifs et aussi quelques mots de la langue allemande, comment le maniement de l’orgue de Barbarie leur était familier, comment ils connaissaient la fabri­ cation de certains ustensiles, comment un certain progrès s’était peut-être étendu aux mœurs de ces êtres placés au premier degré de l’échelle humaine. Voilà ce que se dirent les deux amis lors­ qu’ils curent quitte la fête et réintégré leur case. Aussitôt Khamis fut mis au courant. « Ce que je ne puis m’expliquer, ajouta Max Huber, c’est que le docteur Johausen ne se soit point inquiété de la présence d’étran­ gers dans sa capitale... Comment, il ne nous a pas fait comparaître devant lui, et il n’a pas même paru s’apercevoir, pendant la céré­ monie, que nous ne ressemblions pas à ses sujets !... Oh ! mais, pas du tout !... — Je suis de votre avis, Max, répondit John Cort, et il m’est impossible de comprendre pourquoi Mselo-Tala-Tala ne nous a pas encore mandés à son palais. — Peut-être ignore-t-il que les Wagddis ont fait des prisonniers dans cette partie de la forêt ?... observa le foreloper. — C’est possible, mais c’est au moins sin­ gulier, déclara John Cort. Il y a là quelque circonstance qui m’échappe et il faudra éclair­ cir...

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— De quelle façon ?... demanda Max Huber. — En cherchant bien, nous y parvien­ drons !... » répondit John Cort. De tout cela il résultait que le docteur Johausen, venu dans la forêt de l’Oubanghi afin de vivre parmi les singes, était entre les mains d’une peuplade supérieure à l’anthro­ poïde, et dont on ne soupçonnait pas l’exis­ tence. Il n’avait pas eu la peine de leur apprendre à parler, puisqu’ils parlaient ; il s’était borné à leur enseigner quelques mots de la langue congolaise et de la langue alle­ mande. Puis, en leur donnant ses soins comme docteur, sans doute, il avait dû acquérir une certaine popularité qui l’avait porté au trône !... Et, à vrai dire, John Cort n’avait-il pas déjà constaté que les habitants de Ngala jouissaient d’une santé excellente, qu’on n’y comptait pas un malade et, ainsi que cela a été dit, que pas un Wagddi n’était décédé depuis l’arrivée des étrangers à Ngala. Ce qu’il y avait lieu d’admettre, en tout cas, c’est que, bien qu’il y eût un médecin dans ce village — un médecin dont on avait fait un roi — il ne semblait pas que la mortalité s’y fût accrue. Réflexion quelque peu irrévéren­ cieuse pour la Faculté, et que Max Huber se permit d’émettre. Et, maintenant, quel parti prendre ?... La situation du docteur Johausen à Ngala ne devait-elle pas modifier la situation des pri­ sonniers ?... Ce souverain de race teutonne hésiterait-il à leur rendre la liberté, s’ils pa­ raissaient devant lui et lui demandaient de les renvoyer au Congo ?... « Je ne puis le croire, dit Max Huber, et, maintenant, notre conduite est toute tracée... Il est bien possible que notre présence ait été cachée à ce docteur-roi... J’admets même, quoique ce soit assez invraisemblable, que pendant la cérémonie il ne nous ait pas re­ marqués au milieu de la foule... Eh bien, raison de plus pour pénétrer dans la case royale. — Quand ?... demanda John Cort. — Dès ce soir, et, puisque c’est un souve­ rain adoré de son peuple, son peuple lui obéira, et, lorsqu’il nous aura rendu la liberté,