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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/344

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LA FOUX-AUX-ROSES

Irène, tu ne retourneras pas à Beau-Soleil… Silence !… n’essayez pas de me faire prendre de mauvaises excuses pour de bonnes raisons ; vous êtes coupables, vos rires de tout à l’heure le prouvent clairement : Quand vous voudrez obtenir mon pardon, vous me rapporterez ma clef. »

Les enfants ne riaient plus ; Norbert, rouge d’indignation, s’apprêtait à protester, la fillette lui fit un signe qui voulait dire : « Taisez-vous, tante Dor n’aime pas qu’on réplique lorsqu’elle est en colère ». Il comprit et hésita une seconde, qui suffit à Mlle Lissac pour s’enfoncer sous les orangers en tenant Irène par le bras.

Quand il ne les vit plus, le pauvre Norbert déconcerté se décida à retourner sur ses pas.

« En voilà une idée ! se disait-il le long du chemin, m’accuser de lui avoir joué un mauvais tour, juste le jour où elle allait soigner papa… Le docteur me l’avait bien dit, quand il s’agit de la Foux, notre cousine déraisonne. »

À Beau-Soleil tout le monde était en fête : Mme Brial, que la fièvre avait quittée, venait d’apprendre les événements de la veille ; elle appela Norbert, l’embrassa tendrement : « Mon cher enfant, lui dit-elle, dès que je serai assez forte, nous irons ensemble à la bastide Lissac et nous essayerons de fléchir la cousine, que je veux décider à venir chez nous. »

Norbert, qui croyait encore entendre les paroles irritées de Mlle Dorothée, n’osa répondre.

« Demain, pensa-t-il, il sera temps de raconter à papa l’histoire de la clef. »

Il s’efforça de prendre part à la gaieté générale ; néanmoins, sur la route du collège, Jacques s’aperçut que son frère n’écoutait pas son babil avec sa complaisance habituelle.

« Jacquot, demanda tout à coup Norbert, quand tu as passé près du pont fermé, sais-tu si la clef était à la serrure ?

— Je… je crois que oui.

— Elle n’y est plus… Mlle Dorothée nous accuse Irène et moi de l’avoir cachée pour que le pont reste ouvert… Ne ris pas, ces choses-là, c’est très grave avec la cousine, si grave qu’elle m’a défendu de retourner chez elle et qu’Irène ne reviendra à Beau-Soleil que lorsqu’on aura retrouvé la clef… Mais où veut-elle que j’aille la chercher, moi ? »

Les deux enfants entraient au collège, Jacques n’eut que le temps de répondre par un ah ! sympathique à la confidence de son frère, cela le tirait d’embarras. En classe, il écouta distraitement la leçon du professeur, se fit plusieurs fois rappeler à l’ordre et s’arrangea pour éviter Norbert à la sortie. Un regret sérieux commençait à tourmenter l’ami de Philippe ; jamais il n’avait laissé punir, même soupçonner, son frère à sa place et cette faute lui pesait autant sur la conscience que la disparition de la clef. Avertir Philippe le soir même, c’était impossible, car, aux Myrtes, on attendait l’arrivée de M. et Mme Jouvenet.

« Du reste, cela ne servirait à rien, pensa Jacques très abattu, Philippe n’est pas comme Norbert, qui irait tout de suite se dénoncer, il va m’envoyer promener et répéter que nous avons joué le tour ensemble. »

Ce soir-là, le gros Jacques eut encore beaucoup de peine à s’endormir ; il eut donc le temps de faire de longues réflexions et, avant de fermer les yeux, il avait formé un grand projet.

A. Mouans.

(La fin prochainement.)