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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/365

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A. MOUANS

Pour la première fois, j’eus la vision de la mort, d’une mort terrible, au fond de la vase molle que dissimulent si bien les petits cailloux.

La nappe bleue m’étreignait comme un vêtement de glace et paralysait déjà mes membres.

Est-ce que tante Claudie aurait dit vrai… la rivière dévorerait les enfants ?…

Mes yeux se fermaient, j’allais mourir, lorsque la Girardeau risquant sa pauvre vieille vie, si utile aux cinq petits qui l’appelaient grand’mère, m’arracha à la mort, moi, enfant gâtée, qui ne savais encore que chanter et désobéir.

Après m’avoir réchauffée et réconfortée, tante Claudie me prit sur ses genoux, me regarda de ses bons yeux aimants pleins de larmes et d’effroi et me dit :

« Petite, croiras-tu tante Claudie ?

« La vie est comme ta jolie rivière… un danger voilé de fleurs.

« Les enfants n’ont pas les yeux assez ouverts pour découvrir les épines qui se cachent sous les roses du plaisir ; c’est pourquoi tu n’avais pas vu la vase dangereuse cachée sous les cailloux blancs.

« Mais les enfants ont des mères, des pères, des tantes, qui veillent sur eux ; et l’obéissance est le flambeau qui éclaire et prévient tout danger. »

Je pleurais à chaudes larmes, plus touchée des douces paroles de tante Claudie que je ne l’eusse été d’une bonne correction…

Tante continua :

« Si la Girardeau, qui s’est dévouée pour te sauver, était restée au fond de la rivière, aurais-tu été en mesure, en admettant qu’un autre t’eût sortie de là, de donner du pain à ses cinq petits enfants ? »

Je fus secouée de sanglots convulsifs… la Girardeau morte… ses petits sans pain… tout cela pouvant arriver par ma faute !… Ah ! cette pensée ne me quitterait plus jamais…

Tante me consola… aussi bien étais-je corrigée…

Je comprenais qu’une cervelle de petite fille est une très mauvaise boussole conduisant tout droit au naufrage ; je me promis fermement de n’agir que d’après la plus rigoureuse obéissance aux ordres de mes parents.

Plus tard, quand je serais grande, on verrait !…

N’allez pas croire surtout que je fusse très fâchée contre ma traîtresse amie. Rivière, jolie rivière, je t’aime toujours en dépit de tante Claudie qui t’aime moins que jamais.

Seulement, ô folle inconséquence, depuis mon terrible plongeon, jamais plus battour n’a chanté sous ma main.

Paul Roland.

LA FOUX-AUX-ROSES

Par A. MOUANS

CHAPITRE XV


« Te voilà rouge comme au jour des vendanges, tante Dor ; qu’as-tu donc fait de ton parasol ?

— Je l’ai oublié hier près de la Foux, mademoiselle, et vous, qu’avez-vous fait de votre bonne humeur ?

— Ma bonne humeur ?… Tu veux dire ce qui me fait rire et chanter souvent ?… car je ne boude pas… »

On était au dimanche ; la tante et la nièce, qui revenaient de l’église, suivaient la route poudreuse, déjà brûlante. En parlant, Irène s’était placée devant sa tante pour l’empêcher d’avancer ; elle répétait, levant son minois doux et espiègle :

« Regarde-moi bien, tu verras que je ne boude pas. »

Puis, encouragée par le demi-sourire de