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A. MOUANS

leurs fautes avec autant d’empressement ?

— Dame, petit père, c’est très difficile de dire comme cela devant tout le monde : « J’ai eu tort », observa Nadine.

— Je le sais ; aussi je ne crains pas d’affirmer, à première vue, que celle qui agit ainsi a beaucoup de cœur et une grande droiture.

— Tant mieux, papa, car je la trouve très gentille… mais où donc est-elle partie ?

— Peut-être prévenir sa tante ; en tout cas, la barrière est ouverte ; allons jusqu’à la maison. »

M. Jouvenet avait deviné : Irène, se sentant incapable de recevoir convenablement des étrangers, accourut comme un ouragan près de Mlle  Lissac et lui expliqua tant bien que mal son embarras.

« Quatre personnes pour venir réclamer cette mécanique que tu aurais mieux fait de laisser au fond de la Foux, grommelait cette dernière en s’avançant à grands pas dans le jardin ; je n’aime guère les visites, moi ; pourtant, impossible de mettre d’honnêtes gens à la porte !… Les Lissac ont toujours été hospitaliers, et nous sommes des Lissac ; retiens cela, petite : chez nous, on reçoit bien et poliment. »

La fillette fut en effet émerveillée à la vue de la tante Dor, dont le visage grondeur avait pris son sourire des beaux jours pour souhaiter la bienvenue à ses visiteurs. Cinq minutes plus tard, Irène, électrisée par l’extraordinaire spectacle d’une réception dans la grande salle solitaire de la bastide, offrait avec empressement à Mme  Francœur l’unique fauteuil et avançait pour les autres personnages les chaises de paille multicolore, rangées le long du mur. Mais elle n’était pas au bout de son étonnement et de sa joie : sur l’ordre de sa maîtresse, Marie-Louise apporta un plateau chargé de verres, une carafe de délicieuse limonade et des fougacettes[1] croustillantes.

Les mains tremblantes, les yeux brillants, elle aida sa tante à servir les gâteaux et la fraîche boisson, puis vint s’asseoir près de Nadine.

Bien des fois, il lui était arrivé de se figurer tout ce qu’elle ferait et dirait d’aimable, si un jour elle partageait les jeux d’autres enfants ; néanmoins, quand Mlle  Dorothée lui conseilla d’emmener Philippe et sa sœur à la recherche de la bicyclette, elle se leva et, sans prononcer un mot, leur fit signe de la suivre.

Le visage tranquille de la petite Parisienne l’intimidait bien davantage que l’air important du garçonnet. Ils avaient déjà fait un bout de chemin. Irène, de plus en plus embarrassée de son propre silence, marchait en avant, cherchant vainement un sujet de conversation qui pût convenir aux jeunes étrangers. Nadine vint à son secours en lui demandant :

« Est-ce que vous demeurez toujours dans cette maison au milieu des champs ?

— Certainement, puisque la bastide et les champs sont à nous ; tante Dor ne pourrait pas s’en passer ; elle dit que ce sont ses amis ; si vous n’étiez pas arrivés, elle serait déjà à l’autre bout de la campagne[2] pour surveiller le travail des ouvriers. Dans quelques jours, ce sera bien autre chose : on récoltera la violette et ma tante conduira les femmes à la cueillette, pèsera les paniers pleins, payera tout le monde… Ah ! ce n’est pas une petite affaire, allez !

— Et vous, comment passez-vous vos journées pendant que Mlle  Lissac s’occupe ainsi ? demanda encore Nadine.

— D’abord, aussitôt levée je fais mes devoirs, j’apprends mes leçons que je récite chaque soir à tante Dor, et trois fois par semaine ma maîtresse vient de Grasse me faire travailler. Quand tout est prêt pour Mademoiselle, j’ai une tâche de couture ou de tricot… et puis, c’est fini ; je suis libre de m’amuser, de me promener…

— Toute seule, comme ce matin ? interrompit Philippe.

  1. Galettes à l’huile.
  2. En Provence, on dit une campagne pour une propriété.